Paroles d'Yvelinois

Publié le par Martine

Note pour une resyndicalisation de masse  

Par Maurice Tournier, . Plaisir (adhérent au PS depuis 1956)

Le syndicalisme en France reste vivant et même efficace. Les travailleurs lui font confiance aux élections professionnelles et dans sa représentativité face à l’Etat et au patronat. Paradoxe, quand on se rend compte qu’il y a, dans de très nombreuses entreprises, un vrai désert syndical. Avant de lancer une campagne de syndicalisation, il faut bien comprendre quelles raisons ont mené à ce désert.

Comment y remédier ? La syndicalisation obligatoire est une fausse solution : loin d’unir, elle disperserait davantage. En effet, outre son adversaire externe, le libéralisme capitaliste dont le but est le profit et la loi le seul appétit des actionnaires, le syndicalisme français a un ennemi interne, la dispersion des forces et des intérêts. C’est elle qui bloque la syndicalisation de masse ; c’est elle qu’il faut combattre en tout premier lieu. Dans ce domaine, l’Etat peut dégager des moyens d’intervenir, tout en respectant l’indépendance syndicale. Il en est de même au niveau européen, où l’avenir n’est ni dans une CES à fonction réduite ni dans des Fédérations de secteur perdant de vue la solidarité interprofessionnelle.  

 

La syndicalisation obligatoire

Elle fonctionne dans certains pays, régions ou professions, mais avec de graves inconvénients. Sous deux formes : obligatoire avant l’embauche (c’est la règle du closed shop) ou après l’embauche (règle de l’union shop). En France, trois secteurs seulement ont, un temps, pratiqué l’obligation d’être syndiqué pour obtenir un emploi ou être défendu, ce qui pouvait assurer des positions de monopole syndical : le Livre, les Docks et le Spectacle. Pour assurer la liberté d’adhésion au syndicat de son choix, le système a été interdit par une loi de 1956. À l’étranger, l’exemple actuel le plus évident est celui de l’hyperlocalisme pratiqué aux Etats-Unis. Les relations industrielles sont décentralisées au niveau des établissements. À ce niveau, se négocient des conventions collectives locales juridiquement strictes et protectrices ; la cotisation est prélevée sur les salaires et reversée au syndicat – ce qui suppose l’intervention du patronat dans le circuit. Moyennant quoi, les acquis syndicaux ne sont appliqués qu’aux syndiqués. Ainsi : pour avoir le droit de grève, il faut être syndiqué, c.a.d. couvert par la convention collective signée par le syndicat et le patron de l’établissement. D’où des cristallisations du rapport de forces et des grèves sauvages (dont on ne se vante pas).

Cette syndicalisation de boutique présente, côté salarié, de grands dangers :

- le morcellement extrême des luttes ouvrières, voire leur impossibilité, 

- la porte ouverte à des syndicats suscités par le patronat ou dépendant de lui, 

- l’absence d’un « projet de société » ouvrant sur une transformation de la condition ouvrière et des rapports entre capital et travail, 

- l’absence de solidarité non seulement générale, mais aussi locale ou sectorielle et à plus forte raison interprofessionnelle, engendrant la division des salariés jusqu’au sein d’un même établissement, 

- l’apathie d’adhérents immobilisés dans leur seule sécurisation, 

- la multiplication de travailleurs non couverts par une convention collective et corvéables à merci, 

- l’inégalité de traitement entre salariés, entre localités, entre entreprises, entre provinces, régions, Etats... Succès du « Diviser pour régner ».

Face à l’omnipotence patronale et à l’internationalisation du capital intéressé, s’aventurer dans ce sens c’est la fin du syndicalisme...

À l’inverse de ce courant (qui met en place des systèmes à plusieurs vitesses), la tradition française repose sur trois principes unitaires et égalitaires :

- généralisation des acquis à tous au sein de l’entreprise, du secteur, du salariat national (selon la zone d’extension des accords négociés), l’effort d’extension refusant des laissés-pour-compte et poussant à des grèves de masse et à une législation du travail identique pour tous,

- généralisation de la défense des travailleurs, auxquels on ne demande pas leur carte d’adhérent pour organiser leur défense, ce qui peut entrainer des grèves de solidarité et des actions de développement syndical dans des lieux jusque-là fermés au syndicalisme interprofessionnel,

- inscription du syndicalisme général et démocratique dans une vision à long terme des réformes à faire et des droits à obtenir, avec recours à la loi politique quand besoin est. Dans cette perspective, tout syndicalisme se doit d’être à la fois indépendant (hors parti, hors patronat et hors Etat) et politique (au sens de justice et de transformation sociales).

Dispersion syndicale ou confédéralisation ?

 

Une vérité éclate aux yeux : il ne peut y avoir de « syndicalisme de masse » sans unité syndicale. Le syndicalisme français meurt de ses scissions et, par là, de ses pertes en militants (la CFDT a perdu au bas mot 200.000 adhérents ces dernières années et la CGT 100.000). Des encouragements matériels, des mesures de protection non seulement des délégués mais des militants (et la garantie de leur application !), une renaissance des prudhommes (avec assistance, si nécessaire, d’avocats fonctionnaires spécialistes du droit du travail), la dynamisation et l’indépendance d’une inspection et d’une médecine du travail renforcées, en relation avec la présence syndicale en entreprise, et surtout des droits nouveaux attribués aux « confédérations » pour intervenir dans la gestion des entreprises et sur les postes de travail avec pouvoir de contestation (vieille revendication du « contrôle ouvrier »)  tout cela peut relancer le désir, le besoin de se syndiquer.

La confédéralisation obligatoire (à terme) : mais cette relance ne doit pas se faire au bénéfice des syndicats corporatistes, catégoriels et encore moins des syndicats patronaux... Le syndicalisme de masse ne pourra commencer qu’en donnant une prime à la confédéralisation, c’est-à-dire à la nécessité imposée aux syndicats de branche, d’entreprise ou de localité, de rejoindre l’une des « confédérations » actuelles, selon des modalités à définir avec et entre eux. Donc : ne pas toucher (dans cette première étape) aux critères actuels - certes peu adéquats - de la « représentativité », afin d’éviter d’agrandir la dispersion ou la reconnaissance de syndicats peu fiables. Dans une seconde étape, il sera bon d’exiger de tout syndicat non seulement qu’il se rattache à une confédération mais qu’il s’ouvre à l’interprofessionnel et à l’intercatégoriel. On pourra alors revoir les critères de la représentativité, en fonction des résultats.

La fusion confédérale : En même temps, une prime à la fusion est à définir, avec incitations financières quant aux locaux, aux délégués et aux SSE, à la formation, aux Bourses du Travail à réanimer, etc, avec de nouveaux pouvoirs quant à la gestion en commun des organismes sociaux. Pour être pragmatique, cette marche vers la fusion en une grande confédération (française puis, au-delà, européenne) doit passer d’abord par des lieux de rencontre, de travail, de pouvoir et d’action en commun, des liens à définir, des accords, des fusions partielles, par exemple entre CGT et CFDT - en voie de convergence dans les faits, quoi qu’on en dise - ce qui créera le grand appel d’air dont le syndicalisme français a un urgent besoin, et cela à tous les échelons professionnels, catégoriels et locaux. Les autres confédérations représentatives, à leur demande, pourront être concernées et intégrées dans ce mouvement de rapprochements.  Des assises du syndicalisme Une fois ces exigences posées (et des mesures-phares imposées), des Assises permettront un dialogue entre tous les syndicats, qui ne soit pas improvisé et sans lendemain mais fixé dans un cadre et un projet à étapes où l’Etat sera perçu (la gauche étant au pouvoir) non comme ennemi mais comme aide et garant juridique. Ces assises devront aboutir à une confédéralisation progressive ou, au minimum, à une charte intersyndicale, fondée sur la notion de solidarité et des institutions communes, qui ait la résonance de la charte d’Amiens.

Pour un syndicalisme européen unitaire

Au-delà, il est bien évident que les grands problèmes qui se posent et se poseront de plus en plus ne concernent pas la France seule. Dans un ensemble économique européen, le syndicalisme ne peut qu’être européen. La faiblesse de la CES (Confédération européenne des syndicats) n’est pas seulement due à elle-même, à la diversité des syndicalismes en Europe et à sa pauvreté en moyens propres, mais surtout au manque de reconnaissance et de pouvoir où la cantonne la Commission. L’Union européenne repose sur un déséquilibre total entre le libéralisme patronal (renforcé par les accords de Lisbonne) et le syndicalisme ouvrier (la législation financière écrase de tout son poids un embryon de droit du travail). Tant que ne seront pas mis en question, au Parlement et par des rapports de force, les problèmes de délocalisation, de dumping social (Ryanair est en passe de gérer tous ses salariés par des conventions de droit irlandais), de directives qui, jouant sur la concurrence entre travailleurs de statuts différents, profitent des inégalités existantes pour faire baisser les couts de production et augmenter les profits, la CES sera paralysée.

Deux mesures sont à imposer : Parlement et Commission  doivent renoncer à renvoyer les conflits sociaux aux compétences de la « subsidiarité », car le syndicalisme – devant la mondialisation libérale – doit être tout sauf renvoyé aux seules lois nationales (dans certains pays européens, les grèves de solidarité sont, par exemple, interdites). La pratique d’une subsidiarité greffée sur le bas niveau des salaires et de la protection du travailleur casse tout mouvement de débordement, absolument nécessaire aujourdhui pour que les choses avancent. Il ne s’agit pas de généraliser la libéralisation dans l’optique pratiquée actuellement, qui vise à privatiser les services publics, mais d’engager avec le syndicalisme européen, enfin pris pour partenaire social majeur, des négociations posant les étapes et conditions de l’accession de tous les travailleurs (au moins ceux de la zone euro) aux meilleurs salaire et statut social possibles. 

Les syndicalismes européens devront, en conséquence, repenser, eux, leur participation à une CES coupée de la base. Ils peuvent s’appuyer sur ce qui existe déjà dans certains secteurs d’emploi ; il existe, par exemple, 13 fédérations sectorielles européennes, dont les transports. Face à un lobbysme patronal extrêmement fort à Bruxelles et à une dérégulation progressive, des alliances et accords de coordination sont conclus par certains syndicats, forts d’une pratique internationale due à la transversalité de la profession : la Fédération européenne des transports (ETF, 75 % de syndiqués en Europe) constitue un ilôt de résistance solide contre la privatisation en s’appuyant sur des compagnies publiques comme la SNCF, des forums sociaux et les altermondialistes... mais pas sur la CES. La manif de Bruxelles contre la directive Bolkenstein (qui légalisait des pratiques illégales) doit sa réussite à l’action de l’ETF. De même, c’est grâce à des contacts frontaliers proches et anciens que la grève des dockers a fait reculer la libéralisation des services portuaires voulue par la CE. Il n’est plus temps de se désoler sur Vilvoorde. 

Conséquence : - ou bien la CES deviendra un alibi gestionnaire en Europe, du niveau d’une simple association, voire d’une ONG, et s’organisera alors, en dehors d’elle, un syndicalisme pan-européen sauvage (on reviendra au 19e siècle mais à un niveau supérieur, avec tous les dégâts à craindre chez les faibles) - ou bien son rôle de partenaire majeur sera promu avec plein droit de contestation (organisation légale de grèves européennes), de négociation y compris salariale (le salaire ayant été tenu hors la loi européenne par l’article 11 de Maastricht) et de proposition (pourquoi pas directement au Parlement ou dans une Chambre sociale ayant pouvoir d’intervenir au plan législatif ?). D’où la nécessité d’une pression politique au niveau du Parlement européen en faveur d’une évolution en profondeur du rôle dévolu à une CES renforcée... et aux Fédérations sectorielles, trop tentées, elles, par l’autonomie et la seule défense professionnelle. Un encouragement légal et matériel donné à leur pouvoir de contrôle et d’intervention, leur action convergente, leur intrication plus forte, voire leur fusion organique, est du ressort du politique.

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