Yvelines, Benoît Thieulin : campagne d'Obama, enseignements pour la gauche

Publié le par Martine DA78

CR Comité DA Sartrouville (78) le 8 avril

Chaleureuse réunion le 8 Avril à Sartrouville (78).
Le comité DA « Boucle de Seine » accueillait Benoît Thieulin (que personne ne présente plus à Désirs d'Avenir !) venu analyser les méthodes de la campagne présidentielle d'Obama et les pistes de travail qu'elle offre aux militants français.

I- Analyse
Faisant la part de « l'exceptionnalité » du candidat, il a soigneusement décortiqué la structure très « professionnelle » mise en place par un homme formé en tant que « community organizer » à Chicago.

En remarquant toutefois qu'il n'avait rien « inventé » : si Howard Dean pressent dès 2004, dans sa campagne de primaires face à Kerry, qu'Internet peut être un vecteur formidable pour développer des contacts de terrain, son utilisation systématique pour contourner un appareil médiatique hostile a été prônée bien plus tôt par les activistes de la gauche américaine, privés d'autres modes d'expression publique en ce qui concerne l'Irak par exemple.

Au départ il s'agit de listes de discussion « privées » qui gonflent au fil du temps et se structurent pour lancer des campagnes ciblées contre Bush en achetant des encarts de journaux ou du temps de « publicité » à la télé. Pour cela, les animateurs drainent des contributions minimes mais nombreuses qui sont affectées à tel ou tel projet après choix formel de la part des contributeurs. On ne demande à personne de payer pour un projet global mais les actions sont diversifiées et traitées au cas par cas. La motivation des individus qui en découle permet un maillage du territoire très efficace. Le fameux réseau MoveOn.org a utilisé ces procédés, les a étendus pendant la campagne et continue à en assurer le suivi.

Le coup de génie d'Obama est d'avoir su faire coup double : Internet n'a pas seulement servi à drainer le trésor de campagne mais a aussi servi à organiser les troupes selon un schéma pyramidal très ouvert, très efficace mais aussi très contrôlé.
On y a vu s'inventer le militantisme « à la carte », chacun décidant de la nature de son engagement selon ses propres critères de disponibilité ou de compétences. Cela accompagné d'un encadrement recruté pour assurer la formation et le suivi des troupes sur le terrain. Quiconque s'engageait à telle ou telle action devait en rendre compte très précisément sous peine de se voir écarté des équipes. En somme, on y a institutionnalisé la fiabilité. Je fais ce que je dis, je dis ce que je fais.

Il a été discuté dans la salle de l'arrière plan idéologique implicite : peut-on mener n'importe qui à la victoire avec des méthodes aussi radicales ? Quelqu'un a même parlé de Le Pen au pouvoir dans ces conditions.
Objection levée par ce qui fait le cœur du projet : une telle campagne ne peut réussir que si les valeurs sont en adéquation avec les méthodes. On en fera pas lever 2 millions de militants bénévoles de manière participative si c'est pour leur faire porter le culte du chef et l'obligagtion de la fermer ensuite !
On a aussi pas mal critiqué le fait que les 2500 managers professionnels avaient été « achetés ». « Recrutés » est plus juste et la nuance est de taille : qui peut consacrer 24 heures sur 24 de sa vie pendant un an à une cause sans avoir en parallèle des moyens de subsistance ? Cela reviendrait à déléguer l'organisation exclusivement à ceux qui ont une fortune personnelle !

C'était un choix risqué toutefois car il a dû affecter un quart des ressources, habituellement consacrées à la publicité, aux salaires des « officers ». Risqué mais payant. La campagne a atteint un niveau de professionnalisme jamais égalé, les « cadres » étant habilités à manager les bénévoles de manière absolument directive quoique bienveillante (réorientation éventuelle vers d'autres tâches, etc...)
Il a fallu aussi acheter de coûteux fichiers pour fournir les outils de contact aux militants affectés à telle ou telle catégorie de population en fonction de leurs compétences et de leur localisation géographique. Il semble que 3 Américains sur 5 ont été contactés directement par un bénévole, parfois plusieurs fois : plus de 100 millions d'électeurs...

Pour l'utilisation de l'outil Internet, Benoît a résumé le schéma général :

-500 personnes à Chicago
-2500 officers sur le terrain pour encadrer, sans aucun contact avec les électeurs (c'était impératif)
-2 millions de bénévoles autonomes mais organisés en task force
-drainage des fonds : mobilisation de nombreux donateurs modestes
-création de blogs
-utilisation jamais vue de la vidéo sur Internet
-création de réseaux sociaux servant de plates-formes d'échanges selon les projets.
-instrumentalisation d'Internet pour activer des contacts réels.

Ce dernier point est crucial si l'on considère le taux de retour d'une campagne militante qui peut passer de 1 sur 100 000 par tractage, à 1 sur 14 par le porte à porte.

II-Les enseignements à en tirer

En France, le premier « candidat » porté par Internet fut le NON au TCE !
Des médias, une classe politique et intellectuelle inconditionnels du OUI avaient tant verrouillé l'information disponible que le soupçon de manipulation, toujours présent, a donné un élan sans précédent à une campagne en réseau organisée par les groupes privés de parole officiellement.
Les argumentaires disponibles étaient si denses et si nombreux que les moteurs de recherche ne fournissaient bientôt plus que ce type de réponse aux questionnements sur la toile.
Ce fut la première riposte technique de la société civile.

En 2006, l'équipe de Ségolène ne comptant au départ qu'une vingtaine de personnes, a su organiser un maillage du territoire très efficace avec la fameuse Ségosphère. Entre février et septembre 2006, on a vu se créer 500 comités locaux. Un an après il y avait 1500 blogs répertoriés. La première blogosphère politique a su faire revenir à la politique des gens qui n'y croyaient plus. Tout comme aux Etats-Unis.
Et surtout susciter l'inscription massive de jeunes habituellement peu politisés.

Obama a su lui aussi faire revenir aux urnes 15 millions de votants habituellement muets mais il a bénéficié d'une aubaine démographique : quatre ans avant, il ne passait pas. Ce sont les jeunes multiculturels qui ont fait la différence. A ce sujet il est amusant de constater que ce sont les Noirs qu'il a fallu convaincre le plus : ils pensaient tout simplement que ce n'était pas possible !!

En France, 2012 présentera sûrement une nouvelle donne démographique : les populations de seniors, « formés » en 68, voteront certainement beaucoup plus à gauche que ne le font traditionnellement les aînés. Il y a là une opportunité à ne pas négliger de défiance du vote conservateur.

L'achat de fichiers pose certainement plus de problèmes qu'aux USA mais il n'y a pas vraiment d'obstacles en droit. La donnée financière étant considérée comme suspecte, le salariat de responsables peut être mal interprété (voir réactions de la salle) alors qu'ils sont la cheville ouvrière des actions concertées.

Il faut un ciblage militant pour que les « démarcheurs » ressemblent aux interlocuteurs qu'ils contactent. Cela signifie ne pas laisser les pleins pouvoirs de terrain à ceux « qui ont toujours fait comme ça » et qui n'ont pas envie qu'on leur dise comment militer. On voit dans les statistiques en retour, l'efficacité douteuse des campagnes au feeling ! (les vieux démocrates américains ont fait la g... mais le parti a gagné contrairement à l'habitude).

Il faudra se concentrer sur les indécis : parenthèse délicieuse sur nos comportements, Benoît a exposé notre enthousiasme à aller « au charbon » contre les fachos ou à engager le dialogue avec nos semblables en convictions sur les marchés mais dans les deux cas c'est improductif. C'est cause déjà perdue ou déjà gagnée !!! Perte de temps et d'énergie.
L'action ciblée par bureaux de vote semble la plus opportune. Mais ne pas négliger le brouillage des cartes possible par changement de bureau de vote des inscrits, du fait de certaines municipalités manipulatrices ou peu énergiques pour ce qui concerne les nouvelles inscriptions...

A ce sujet, il faudrait que les inscriptions se fassent dans un fichier national et non à l'initiative locale.

Evoqué : le vide des institutions internes au parti concernant les procédures de désignation et surtout celles de réconciliation (cf Convention de Denver). Tous derrière après désignation, c'est le moins que l'on puisse espérer, non ? N'est-ce pas Mrs Clinton ?

Fondamental selon Benoît : Obama a été cohérent de bout en bout pendant les primaires. Contrairement à Clinton qui a navigué à vue et a fini par être illisible. Il connaissait les scores mais n'en tenait pas compte dans ses argumentaires ce qui lui a permis de passer des caps difficiles en étant "transparent".

Merci mille fois à Benoît Thieulin d'avoir affronté les éléments pour nous rejoindre et d'avoir de longue date été la cheville ouvrière du site qui nous permet de rester en lien.

(Merci à Nadine pour son compte-rendu)

Publié dans Infos Yvelines

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article